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La maison d’hiver

 

 

 

Plus nous approchions d’Anglezarke, plus le temps se gâtait.

Il commença par pleuvoir ; un vent froid venant du sud-est nous cingla bientôt le visage. Les nuages bas, couleur de plomb, pesaient sur nos têtes. Puis le vent forcit, la pluie se transforma en grésil. La terre boueuse collait à nos bottes, et nous avancions péniblement. Pour couronner le tout, nous traversâmes une lande marécageuse, couverte de mousse, au sol traître et spongieux. L’Épouvanteur dut mettre en œuvre toute sa connaissance du terrain pour nous faire passer sans encombre.

Au matin du troisième jour, la pluie cessa et les nuages s’écartèrent, découvrant une sinistre ligne de collines.

— Nous y voici ! dit l’Épouvanteur en désignant l’horizon de son bâton. La lande d’Anglezarke. Et là-bas, à quatre miles environ vers le sud – il tendit de nouveau le bras –, se trouve Blackrod.

Nous n’étions pas encore assez près pour apercevoir le village. Je crus distinguer des volutes de fumée, mais ce n’étaient peut-être que des filets de brume.

— À quoi ressemble Blackrod ? demandai-je.

Mon maître y avait fait allusion par le passé ; j’imaginais que nous y achèterions nos provisions de la semaine.

— C’est loin d’être aussi accueillant que Chipenden, me répondit-il. Aussi, mieux vaut l’éviter. Les gens qui y vivent sont peu aimables ; beaucoup d’entre eux font partie de ma famille. C’est là que je suis né, je peux donc en parler. Adlington est plus agréable, et nous y arriverons bientôt. Toi, jeune fille, nous te laisserons à un mile environ au nord du village. Le domaine s’appelle la ferme de la Lande ; il appartient au couple Hurst.

Au bout d’une heure de marche, nous atteignîmes une ferme isolée, sur le bord d’un lac. Lorsque l’Épouvanteur pénétra dans la cour, les chiens se mirent à aboyer. Mon maître s’arrêta pour parler à un vieil homme, qui ne se montrait pas vraiment heureux de le voir. La femme du fermier les rejoignit. Aucun des trois n’esquissa le moindre sourire.

— Je ne suis pas la bienvenue ici, c’est clair, soupira Alice, un pli amer au coin des lèvres.

Comme pour me justifier, je déclarai :

— Ce n’est peut-être pas ce que tu crois. Souviens-toi qu’ils ont perdu une fille ! Certaines personnes ne se remettent jamais d’un tel malheur.

Je profitai de notre attente pour observer la ferme. Elle ne respirait pas la prospérité, et la plupart des bâtiments avaient besoin de réparations. La grange penchait à tel point qu’elle risquait de s’effondrer à la première tempête. C’était lugubre. Le lac, morne étendue d’eau grise cernée de marécages et bordée de rares saules rabougris, avait un aspect inquiétant. Si c’était là-dedans que leur fille s’était noyée, les Hurst avaient sans cesse devant les yeux la scène de la tragédie.

Au bout de quelques minutes, l’Épouvanteur nous fit signe d’approcher, et nous nous aventurâmes dans la cour boueuse.

— Lui, c’est Tom, mon apprenti, me présenta l’Épouvanteur.

Je dis bonjour d’un ton affable. Le couple me salua d’un mouvement de tête, le visage fermé.

— Et voici la jeune Alice, continua mon maître. Elle est travailleuse et vous sera d’une grande aide pour les soins du ménage. Soyez exigeants, mais bienveillants ; elle ne vous causera aucun problème.

Ils l’examinèrent de la tête aux pieds sans prononcer un mot ; Alice leur adressa une ombre de sourire, puis fixa le bout de ses souliers pointus d’un air buté. Elle ne prenait pas un bon départ, et je ne pouvais l’en blâmer. Ces gens semblaient si misérables, si accablés par les duretés de la vie ! L’affliction avait creusé leurs joues et leur front de profondes rides.

— Avez-vous vu Morgan, ces temps-ci ? leur demanda l’Épouvanteur.

À ce nom, je levai vivement la tête. Je vis un tic agiter les paupières de M. Hurst. Il parut soudain nerveux, presque effrayé. S’agissait-il du Morgan qui m’avait remis la lettre ?

— Pas souvent, répondit le fermier de mauvaise grâce en évitant le regard de l’Épouvanteur. Il passe parfois la nuit chez nous ; sinon il circule à sa guise. En ce moment, on ne le voit guère.

— Quand est-il venu pour la dernière fois ?

— Il y a deux semaines, peut-être plus…

— Eh bien, à la prochaine occasion, faites-lui savoir que j’aimerais lui dire un mot.

— On le fera.

— Je compte sur vous. Bon, nous allons reprendre la route.

Ramassant nos deux sacs, j’emboîtai le pas à mon maître, mon bâton à la main. Alice se précipita derrière moi et me retint par le bras.

— N’oublie pas ta promesse, me chuchota-t-elle à l’oreille. Rends-moi visite ; ne me laisse pas seule ici plus d’une semaine ! Je t’attendrai.

— Ne t’inquiète pas, je viendrai, lui promis-je.

Sur ce, elle rejoignit ses nouveaux maîtres. Je les regardai entrer tous les trois dans la maison. Je me sentais d’autant plus triste que je ne pouvais rien faire pour elle.

Comme nous nous éloignions de la Ferme de la Lande, je confiai mes inquiétudes à l’Épouvanteur :

— Ces gens ne paraissent pas ravis de prendre Alice chez eux.

J’espérais qu’il m’assurerait du contraire. Or, il abonda dans mon sens ; j’en fus surpris et choqué.

— C’est exact, fit-il. Ils ne sont pas ravis du tout. Mais ils n’ont pas leur mot à dire. Les Hurst me doivent une coquette somme d’argent, vois-tu. À deux reprises, j’ai débarrassé leurs terres de gobelins fort encombrants. Et je n’ai pas encore reçu un penny pour ma peine. J’ai accepté d’effacer leur dette s’ils se chargeaient de la fille.

Je n’en croyais pas mes oreilles.

— C’est méchant ! m’écriai-je. Ils vont peut-être la maltraiter.

— Elle est capable de se défendre, tu le sais aussi bien que moi. D’ailleurs, tu ne pourras pas t’en empêcher ; tu viendras régulièrement vérifier si elle va bien, non ?

J’ouvrais la bouche pour protester quand il m’adressa un sourire carnassier, qui le fit ressembler plus que jamais à un loup affamé.

— N’ai-je pas raison ? railla-t-il.

Je hochai la tête.

— C’est ce que je pensais. Tu vois, je commence à te connaître. Aussi, ne t’angoisse pas trop pour cette fille. Occupe-toi plutôt de toi-même. Nous allons avoir un rude hiver ; l’affronter exigera toutes nos forces. Anglezarke n’est pas un séjour pour les couards et les poules mouillées.

Une autre question me tarabustait, et je me décidai à la poser :

— Vous avez parlé aux Hurst d’un certain Morgan. Est-ce celui qui vous a écrit la lettre ?

— J’espère bien qu’il n’y en a pas deux dans son genre, petit ! Un seul suffit.

— Alors, il habite parfois chez eux ?

— Parfois, en effet, ce qui n’a rien d’étonnant, puisqu’il s’agit de leur fils.

— Vous laissez Alice aux parents de ce Morgan ! me récriai-je, abasourdi.

— Oui. Et je sais ce que je fais. Alors, assez de controverses pour aujourd’hui ! Marchons ! Nous devons arriver avant la tombée de la nuit.

Dès que je les avais vues, j’avais aimé les collines de Chipenden. Celles d’Anglezarke avaient quelque chose de différent. Je n’arrivais pas à analyser ce que je ressentais ; plus nous avancions, plus mes pensées s’assombrissaient.

Peut-être était-ce dû à la saison, à ce temps lugubre, avant-coureur de l’hiver. Peut-être était-ce à cause de l’étendue de la lande, couchée devant moi telle une énorme bête assoupie, ses vallonnements enveloppés d’un linceul de nuages gris. Plus probablement, les nombreuses mises en garde que j’avais entendues, et la perspective du cruel hiver qui s’annonçait expliquaient mon humeur. Mais je me sentis totalement déprimé. C’était l’endroit le plus sinistre que nous eussions connu au cours de ces derniers mois.

Nous nous en approchâmes en remontant le cours d’un ruisseau, par une faille que mon maître appelait le Bec de Lièvre. La pente était couverte d’éboulis, qui firent bientôt place à du rocher nu parsemé de touffes d’herbe. Les mornes parois semblaient prêtes à nous prendre en tenailles.

Au bout de vingt minutes de marche, la faille s’incurva sur la gauche, et, d’un coup, la maison apparut, adossée à la falaise. Mon père disait que la première impression est généralement la bonne ; or, en découvrant la demeure, je sentis le moral me tomber au fond des bottes. Plus grande et plus imposante que celle de Chipenden, elle était bâtie en pierres noires, ce qui lui donnait une apparence funèbre. Avec d’aussi étroites fenêtres, son intérieur devait être fort sombre. C’était l’habitation la moins hospitalière qu’on puisse imaginer.

Le pire, cependant, était qu’elle n’avait pas de jardin. Devant, cinq ou six pas la séparaient du ruisseau, qui n’était pas très large, mais qu’on devinait profond et glacial. Trente pas plus loin, on touchait la falaise opposée. À condition de réussir à traverser sur les pierres glissantes affleurant à la surface de l’eau…

Aucun filet de fumée ne s’échappait de la cheminée ; nous ne serions pas accueillis par un bon feu. Dans la résidence d’été, le gobelin domestique préparait toujours notre arrivée ; nous trouvions une maison chaude et un repas servi sur la table de la cuisine.

Au-dessus de nos têtes, les parois de la faille se rejoignaient presque, ne laissant apparaître qu’une mince bande de ciel. Je frissonnai : il faisait plus froid que sur les basses pentes de la lande ; même en été, on ne devait avoir qu’une heure de soleil par jour, guère davantage.

Je regrettai amèrement les bois, les champs, les hautes collines et le grand ciel de Chipenden. Là-bas, nous avions vue sur le monde ; ici, nous serions enfermés au fond d’un puits.

Je jetai un coup d’œil anxieux vers les sommets de la faille, là où ils tranchaient le ciel. Si quelqu’un nous observait de là-haut, nous ne le saurions même pas.

— Eh bien, petit, nous y sommes. Voici ma maison d’hiver. De l’ouvrage nous attend. Alors, fatigués ou pas, nous devons nous y mettre !

Au lieu de se diriger vers la porte principale, l’Épouvanteur me conduisit vers un minuscule passage pavé, large de trois pas à peine, séparant l’arrière de la maison du rocher ruisselant, où s’accrochaient des stalactites de glace. Elles m’évoquèrent les dents du dragon dont parlaient les contes qu’un de mes oncles me narrait quand j’étais petit.

Certes, dans la gueule du monstre cracheur de feu, ces « dents » seraient aussitôt devenues vapeur. En cet endroit glacial, elles devaient persister de longs mois.

— Ici, petit, me dit l’Épouvanteur, on n’utilise que la porte de derrière.

Il sortit de sa poche la clé fabriquée par son frère Andrew, le serrurier. Elle venait à bout de n’importe quel mécanisme pour peu qu’il ne soit pas trop compliqué. J’en possédais une semblable, et elle m’avait été utile à plusieurs reprises.

La clé tourna avec difficulté dans la serrure, et la porte parut s’ouvrir à contrecœur. Je pénétrai dans une entrée sombre à frémir. Ayant appuyé son bâton contre le mur, l’Épouvanteur tira de son sac une chandelle, qu’il alluma. Il me désigna une étagère basse et m’ordonna d’y déposer nos sacs. J’obéis et plaçai mon bâton près de celui de mon maître avant de le suivre à l’intérieur.

Ma mère aurait été choquée par l’état de la cuisine. Il était clair qu’ici aucun gobelin domestique ne s’occupait des tâches ménagères, car personne n’avait nettoyé les lieux depuis que l’Épouvanteur les avait quittés à la fin de l’hiver dernier. La poussière recouvrait tout ; des toiles d’araignées pendaient du plafond. De la vaisselle sale s’empilait dans l’évier, un vieux trognon de pain gisait sur la table, vert de moisissures. Une odeur douceâtre régnait dans la pièce, à croire que quelque chose pourrissait dans un coin. Près de la cheminée attendait un rocking-chair semblable à celui de ma mère. Un châle brun, qui aurait mérité un bon lavage, était accroché au dossier. Je me demandai à qui il appartenait.

— Au travail ! me dit l’Épouvanteur. Chauffons d’abord cette vieille bâtisse. Après quoi, nous ferons un peu de ménage.

Sur le côté de la maison, une cabane en planches abritait un gros tas de charbon. Comment une telle quantité de combustible avait-elle été acheminée à travers le Bec de Lièvre ? À Chipenden, c’était moi qui me chargeais des provisions de la semaine ; j’espérais qu’ici le transport des sacs de charbon ne ferait pas partie de mes attributions.

Nous remplîmes trois grands seaux, que nous rapportâmes dans la cuisine.

— Tu sais allumer un feu ? me questionna mon maître.

Je fis signe que oui. En hiver, à la ferme, c’était mon premier travail du matin.

— Parfait ! Commence par cette pièce ; je m’occupe du salon. Il y a treize cheminées dans cette maison ; six devraient nous fournir assez de chaleur pour l’instant.

Une heure plus tard, les six feux brûlaient : un dans la cuisine, un dans le salon, un dans ce que l’Épouvanteur appelait son cabinet de travail, au rez-de-chaussée ; les trois autres dans les chambres, au premier étage. Il y avait sept autres chambres, dont une dans le grenier, mais nous n’y entrâmes pas.

— C’est un bon début, déclara mon maître. Maintenant, allons puiser de l’eau !

Muni chacun d’une grosse cruche, nous ressortîmes par la porte de derrière et, contournant la maison, nous dirigeâmes vers le ruisseau. L’eau était froide et claire – on voyait les rochers au fond – et assez profonde pour qu’il soit facile d’y plonger nos récipients. C’était une rivière tranquille, qui descendait vers l’entrée de la faille avec un léger clapotis.

À l’instant où je finissais d’emplir ma cruche, je perçus un mouvement, loin au-dessus de moi, et j’eus l’impression d’être observé. Je levai la tête vers le sommet de la paroi rocheuse, dont la ligne grise se découpait contre le ciel. Je ne vis personne.

— Ne regarde pas ! me lança l’Épouvanteur d’une voix irritée. Ne lui donne pas cette satisfaction ! Fais mine de n’avoir rien remarqué !

— Qui était-ce ? l’interrogeai-je, inquiet et tendu, en le suivant vers la maison.

— Difficile de le dire. Je n’ai même pas jeté un œil, je n’ai donc pas de certitude.

Mon maître s’arrêta soudain et posa son récipient ; tout à trac, il lâcha :

— Que penses-tu de cette demeure ?

Mon père m’avait appris à parler avec franchise, et je savais que l’Épouvanteur n’était pas homme à se vexer facilement. Aussi avouai-je :

— J’aurai du mal à vivre ici, telle une fourmi coincée entre deux pavés ! Je préfère de loin votre maison de Chipenden.

— Moi aussi, petit. Moi aussi. Nous ne sommes là que parce qu’il le faut. Cet endroit est une frontière, le seuil de l’obscur ; c’est un sale coin pour y passer l’hiver. Il y a des créatures sur la lande dont j’aimerais mieux ne pas me préoccuper. Mais, si nous ne les affrontons pas, qui le fera ?

— Quelles sortes de créatures ? demandai-je, me souvenant des paroles de ma mère, et curieux d’entendre la réponse de l’Épouvanteur.

— Il y a des gobelins, des sorcières, des quantités de fantômes et de spectres, et des êtres bien pires encore…

— Des êtres comme Golgoth ?

— Oui, comme Golgoth. Ta mère t’a renseigné sur lui, je suppose ?

— Elle y a fait allusion quand elle a su que nous allions à Anglezarke, sans m’en dire grand-chose ; à part qu’il se manifestait l’hiver.

— C’est exact ; je t’en dirai davantage le moment venu. À présent, regarde ça ! fit-il en désignant la cheminée, dont les deux rangées de conduits circulaires laissaient échapper une épaisse fumée brune.

Agitant le doigt, il déclara :

— Nous sommes venus lever le drapeau, petit !

Je cherchai un drapeau sur le toit ; je ne vis que la fumée.

— C’est une façon de parler : par notre seule présence, nous proclamons que ce pays nous appartient, et qu’il n’est pas la possession de l’obscur. Tenir tête à l’obscur, particulièrement à Anglezarke, est une tâche redoutable, mais tel est notre devoir.

Reprenant sa cruche, il conclut :

— Quoi qu’il en soit, rentrons et mettons-nous au ménage.

Je passai les deux heures suivantes à récurer, balayer, astiquer et à battre les tapis, qui dégageaient des nuages de poussière. Enfin, après que j’eus lavé et essuyé la vaisselle, l’Épouvanteur m’envoya faire les trois lits dans les chambres du premier.

— Les trois lits ? répétai-je, craignant d’avoir mal compris.

— Oui, les trois. Et, quand tu auras fini, tu feras bien de te décrasser les oreilles ! Va ! Ne reste pas là à bayer aux corneilles ! Nous n’avons pas toute la journée !

J’obtempérai en haussant les épaules. Les draps étaient humides, et je commençai par les étendre devant le feu pour qu’ils sèchent. Ma tâche terminée, je descendis, épuisé.

Passant devant l’escalier de la cave, je m’étonnais de le découvrir aussi large. Quatre personnes auraient pu y tenir côte à côte. Alors que je l’observai, perplexe, je perçus un bruit qui me flanqua la chair de poule. On aurait dit un profond soupir, suivi d’une faible plainte. Je me figeai en haut des marches, au seuil des ténèbres, et je tendis l’oreille. Plus rien ! Mon imagination m’avait-elle joué un tour ?

J’entrai dans la cuisine, où l’Épouvanteur se lavait les mains à l’évier.

— J’ai entendu un gémissement dans la cave, dis-je. Est-ce un fantôme ?

— Il n’y a plus de fantômes dans cette maison ; voilà des années que je me suis débarrassé d’eux. Non, ce devait être Meg. Elle vient sans doute de se réveiller. Allons voir !

Je n’étais pas sûr d’avoir bien saisi. Certes, j’avais été prévenu que je rencontrerais Meg, qu’elle était une sorcière lamia et qu’elle vivait quelque part à Anglezarke. Je m’étais d’ailleurs presque attendu à la trouver dans la maison. Mais découvrir une demeure aussi froide et mal entretenue m’avait ôté cette idée. Pourquoi Meg aurait-elle dormi dans une cave glacée ?

Quoique rempli de curiosité, je compris qu’il valait mieux ne pas poser de questions. Parfois, l’Épouvanteur était disposé à répondre. En ce cas, il s’asseyait, m’envoyait chercher mon cahier, ma plume et ma bouteille d’encre, et je me préparais à prendre des notes. À d’autres moments, comme celui-ci, je voyais à l’expression de ses yeux verts qu’il avait la tête ailleurs. Je me tus donc, tandis qu’il allumait une chandelle.

Je le suivis dans l’escalier. Je n’avais pas vraiment peur, car il agissait en connaissance de cause, je n’en doutais pas. J’étais tout de même un peu nerveux. Je n’avais jamais rencontré de sorcière lamia, et, bien qu’ayant lu beaucoup d’ouvrages sur elles, je ne savais trop à quoi m’attendre. Comment Meg avait-elle survécu, dans le noir et le froid, un printemps, un été et un automne ? Qu’avait-elle mangé ? Des limaces, des vers, des insectes et des escargots, comme les sorcières que l’Épouvanteur enfermait dans un puits ?

Après un coude de l’escalier, une grille de fer nous bloqua le passage. L’Épouvanteur sortit une clé de sa poche et l’introduisit dans la serrure. Ce n’était pas celle qu’il utilisait d’ordinaire.

— C’est une serrure compliquée ? voulus-je savoir.

— En effet, petit. Au cas où tu en aurais besoin, sache que je laisse cette clé en haut de la bibliothèque, près de la porte, dans mon cabinet de travail.

La grille produisit en s’ouvrant un puissant grincement métallique, qui résonna longuement entre les pierres des murs, comme si la maison tout entière avait été une énorme cloche.

— Le fer empêche la plupart d’entre eux de franchir cette limite, expliqua l’Épouvanteur. Si toutefois ils y réussissaient, nous serions aussitôt avertis par le raffut. Cette porte est plus efficace qu’un chien de garde.

— Qui ça, eux ? Et pourquoi cet escalier est-il aussi large ?

— Chaque chose en son temps, répliqua sèchement mon maître. Les questions et les réponses viendront plus tard. Occupons-nous d’abord de Meg.

Alors que nous descendions, j’entendis de faibles bruits venant des profondeurs. Il y eut un grondement, accompagné d’un léger grattement, qui augmentèrent ma nervosité. Je compris que la maison avait plus de sous-sols que d’étages. À chaque coude de l’escalier, une porte en bois était incrustée dans le mur ; au troisième, nous arrivâmes sur un palier comprenant trois portes.

L’Épouvanteur s’arrêta devant celle du milieu et se tourna vers moi :

— Attends-moi là, petit ! Meg est toujours un peu agitée quand elle se réveille. Donnons-lui le temps de s’accoutumer à ta présence.

Sur ces mots, il me tendit la chandelle, fit jouer sa clé dans la serrure et pénétra dans l’obscurité, refermant la porte derrière lui.

Je restai là pendant dix bonnes minutes. Je n’étais pas rassuré, seul dans ces escaliers sinistres. D’une part, le froid s’était accentué à mesure que nous descendions ; d’autre part, j’entendais des bruits inquiétants, provenant de tout en bas. C’étaient des râles, des gémissements, comme si quelqu’un souffrait. Puis des sons étouffés montèrent de la pièce où l’Épouvanteur était entré. Mon maître paraissait parler calmement mais fermement. Soudain, je perçus des pleurs de femme. Cela ne dura pas. Ils se remirent à chuchoter, à croire que ni l’un ni l’autre ne souhaitait que je surprenne leur conversation.

Enfin, la porte s’ouvrit en grinçant. L’Épouvanteur réapparut.

— Voici Meg, dit-il en s’écartant, de sorte que je puisse voir la femme qui le suivait. Elle te plaira, petit. C’est la meilleure cuisinière du Comté.

Meg m’examina de la tête aux pieds, l’air surpris. Moi, je la fixai, ébahi. C’était une femme d’une grande beauté, et elle portait des souliers pointus. Lorsque j’étais arrivé à Chipenden, au cours de ma première leçon mon maître m’avait mis en garde contre les filles ainsi chaussées. Qu’elles le sachent elles-mêmes ou non, la plupart étaient des sorcières.

Je n’avais pas tenu compte de cet avertissement, et j’avais parlé à Alice. Elle m’avait entraîné dans des histoires impossibles, avant de m’aider finalement à m’en sortir. Mon maître faisait donc fi de son propre conseil ! Sauf que Meg n’était pas une fille ; c’était une femme, dont les traits du visage, les yeux, les hautes pommettes, le teint étaient d’une telle perfection qu’on ne se lassait pas de la regarder. Seuls ses cheveux argentés trahissaient son âge.

Meg n’était pas plus grande que moi ; elle arrivait à l’épaule de l’Épouvanteur. En l’observant de plus près, on devinait qu’elle avait dormi longtemps dans le froid et l’humidité : des lambeaux de toiles d’araignées s’accrochaient à sa chevelure, et des plaques de moisissure tachaient sa robe d’un pourpre fané.

L’Épouvanteur m’avait parlé des différentes sortes de sorcières ; j’avais rempli des pages entières de cahier avec ses enseignements. Mais ce que je savais des sorcières lamia, je l’avais appris en fouinant dans des ouvrages de la bibliothèque de mon maître, que je n’étais pas censé étudier.

Les sorcières lamias viennent d’au-delà des mers. Dans leur pays d’origine, elles pourchassent les hommes pour se nourrir de leur sang. À l’état sauvage, leur corps est recouvert d’écailles, et leurs doigts se terminent par de longues et puissantes griffes. Elles peuvent se métamorphoser lentement, et plus elles sont en contact avec les hommes, plus leur apparence devient humaine. Elles finissent par devenir des « lamias domestiques », qui ressemblent à des femmes, à l’exception d’une ligne d’écailles vertes et jaunes le long de leur colonne vertébrale. Certaines cessent même d’être des « pernicieuses », pour devenir des « bénévolentes ». Était-ce le cas de Meg ? Était-ce pour cela que l’Épouvanteur ne l’avait pas enfermée au fond d’un puits, comme il l’avait fait pour Lizzie l’Osseuse ?

— Meg, reprit mon maître, voici Tom, mon apprenti. C’est un bon garçon. Je pense que vous vous entendrez.

Meg tendit le bras vers moi. Je crus qu’elle voulait me serrer la main. Or, à l’instant où nos doigts se touchaient, elle eut un brusque mouvement de recul, comme si elle s’était brûlée, et je lus de l’inquiétude dans ses yeux.

— Où est Billy ? demanda-t-elle. J’aimais Billy.

Sa voix, aussi douce que de la soie, était chargée de perplexité.

Elle parlait de Billy Bradley, le précédent apprenti, celui qui était mort.

— Billy est parti, Meg, répondit l’Épouvanteur avec bienveillance. Je te l’ai déjà dit. Ne t’inquiète pas pour lui. La vie continue. Tu vas t’accoutumer à Tom, à présent.

— C’est un autre nom à retenir, gémit Meg. Pourquoi faire tant d’efforts, alors que ces garçons restent si peu de temps ?

 

On m’envoya chercher de l’eau au ruisseau. Je dus faire une douzaine d’allers et retours avant que Meg se déclare satisfaite. Elle mit l’eau à bouillir, et je fus déçu en comprenant que ce n’était pas pour cuisiner.

J’aidai l’Épouvanteur à porter dans la cuisine une grande baignoire en fer et à la remplir d’eau chaude.

— Retirons-nous, me dit-il. Laissons à Meg un peu d’intimité. Elle est restée des mois dans cette cave, elle désire se laver.

Je me fis la réflexion que, s’il ne l’avait pas enfermée en bas, elle aurait pu garder la maison en état pour son retour chaque hiver. Ce qui entraîna une autre question : pourquoi l’Épouvanteur n’emmenait-il pas Meg avec lui dans sa résidence d’été ?

— Voici le salon, déclara mon maître en ouvrant une porte et en m’invitant à entrer. Nous y discutons et nous y recevons ceux qui viennent quérir notre aide.

Avoir un salon est une ancienne tradition du Comté. C’est la plus belle pièce de la maison, aussi élégante que possible, que l’on utilise rarement, car il faut la garder propre et rangée pour accueillir les visiteurs. À Chipenden, l’Épouvanteur n’avait pas de salon ; il préférait tenir les gens loin de chez lui. Voilà pourquoi ils devaient s’arrêter au carrefour, sous les saules, sonner la cloche et attendre. Apparemment, les règles étaient différentes ici.

À la ferme non plus, nous n’avions pas de salon. Sept garçons, cela fait une grande famille. Au temps où nous étions tous à la maison, chaque espace était utilisé. D’ailleurs, maman, qui n’était pas originaire du Comté, trouvait qu’avoir un salon était une drôle d’idée. « À quoi cela sert-il si on n’y va presque jamais ? disait-elle toujours. Les gens n’ont qu’à nous parler là où nous sommes ! »

Si le salon de l’Épouvanteur n’était pas d’une grande élégance, les canapés un peu défoncés semblaient aussi confortables que les deux fauteuils, et une agréable chaleur régnait dans la pièce ; si bien qu’à peine assis je me sentis gagné par une douce somnolence. La journée avait été longue, et nous avions un bon nombre de miles dans les jambes.

J’étouffai un bâillement, ce qui n’échappa pas à mon maître :

— Tu n’as plus l’esprit assez vif pour que je te donne une leçon de latin. Dès qu’on aura soupé, tu monteras te coucher. Tu te lèveras tôt demain pour réviser tes verbes.

J’acquiesçai.

— Encore une chose, dit-il en ouvrant un placard près de la cheminée.

Il en sortit une grande bouteille brune et la tint devant moi afin que je la voie bien.

— Sais-tu ce que c’est ? me demanda-t-il en levant les sourcils.

Je haussai les épaules, puis remarquai l’étiquette et lus :

— Tisane.

— Ne te fie jamais à une étiquette, me conseilla l’Épouvanteur. Tu verseras un peu de ce liquide dans une tasse chaque matin, tu y ajouteras de l’eau bouillante, tu remueras soigneusement et tu le donneras à Meg. Tu veilleras à ce qu’elle boive la préparation jusqu’à la dernière goutte. Ça prendra un moment, car elle aime la savourer à petites gorgées. Ce sera ta tâche la plus importante de la journée. Dis-lui chaque fois que c’est sa tisane habituelle, qui l’aidera à garder sa densité osseuse et la souplesse de ses articulations. L’explication lui suffira.

— Qu’est-ce que c’est, en réalité ?

L’Épouvanteur ne répondit pas tout de suite.

— Comme tu le sais, fit-il enfin, Meg est une sorcière lamia. Ce breuvage le lui fait oublier. Souhaite qu’elle ne s’en souvienne jamais, petit ! Ce serait extrêmement dangereux pour nous si Meg retrouvait la mémoire de sa nature et de ses pouvoirs.

— C’est pour cette raison que vous l’enfermez à la cave et que vous la tenez éloignée de Chipenden ?

— Oui, j’assure ainsi la sécurité de tous. Et je ne peux laisser personne se douter qu’elle est ici. Les gens ne comprendraient pas. Certains, dans le coin, savent de quoi elle est capable…

— Comment a-t-elle survécu si longtemps sans manger ?

— À l’état sauvage, les sorcières lamias peuvent se passer de nourriture pendant des années, se contentant d’insectes, de larves, d’un rat de temps à autre. Même quand elles deviennent domestiques, rester des mois à jeun ne leur pose pas de problème. Meg n’a pas souffert. Une forte dose de cette potion la fait dormir et lui procure également de nombreux nutriments. Quoi qu’il en soit, petit, je suis sûr que tu l’aimeras. C’est une excellente cuisinière, tu t’en apercevras bientôt. De plus, elle est organisée et méticuleuse. Elle fait briller ses casseroles comme si elles étaient neuves, et les empile avec soin dans le buffet. Quant aux couverts, elle les range dans le tiroir, les couteaux à gauche, les fourchettes à droite.

Je me demandai ce qu’elle aurait pensé du bazar qui régnait dans la maison à notre arrivée ; peut-être était-ce pour cela que l’Épouvanteur avait voulu tout nettoyer avant de la libérer.

— Bien ! Assez bavardé. Va voir ce qu’elle fait…

 

Après le bain, le visage de Meg avait pris une belle teinte rosée, la rendant plus jolie que jamais. Malgré ses cheveux argentés, elle paraissait deux fois plus jeune que l’Épouvanteur. Elle portait à présent une robe propre, du même brun que ses yeux, attachée dans le dos par une rangée de petits boutons blancs, qui avaient tout l’air d’être en os. Cette idée me mit mal à l’aise. Si tel était le cas, d’où ces os venaient-ils ?

À ma grande déception, Meg n’avait pas préparé le souper. Comment l’aurait-elle pu, étant donné qu’il n’y avait ici aucune provision, à part un morceau de pain moisi ?

Il nous fallut donc nous arranger avec le reste du fromage que l’Épouvanteur avait emporté pour le voyage. C’était un bon produit du Comté à la pâte friable, d’un appétissant jaune pâle ; mais il n’y en avait pas assez pour rassasier trois personnes affamées.

Nous étions assis autour de la table, mâchant chaque bouchée longuement pour la faire durer. La conversation languissait ; quant à moi, je ne songeais qu’au petit déjeuner.

— Dès qu’il fera jour, j’irai faire les courses pour la semaine, déclarai-je. Devrai-je aller à Adlington ou à Blackrod ?

— Tiens-toi à l’écart de ces deux villages, petit, me recommanda l’Épouvanteur. Surtout de Blackrod ! Tu n’auras pas à t’occuper de ça pendant notre séjour ici. Cesse de t’inquiéter ! Ce qu’il te faut, c’est une bonne nuit de sommeil. Va te mettre au lit, et dors bien ! Meg et moi avons à discuter.

 

Je montai donc me coucher. Ma chambre était beaucoup plus grande que celle où je logeais à Chipenden. Elle n’était pourtant meublée que d’un lit, d’une chaise et d’une très petite commode. Si elle avait été située à l’arrière de la maison, je n’aurais eu pour vis-à-vis que la paroi de rocher. Par chance, elle donnait de l’autre côté. Lorsque je soulevai la fenêtre à guillotine, j’entendis le murmure de l’eau et la plainte du vent. Les nuages s’étaient écartés, et la pleine lune répandait jusqu’au fond de la faille sa lumière d’argent, que le ruisseau reflétait. La nuit s’annonçait glaciale.

Je passai la tête à l’extérieur pour mieux voir. La lune, énorme, semblait perchée en haut de la falaise. Une silhouette agenouillée se découpa contre le disque lumineux, le visage tourné vers le bas. L’instant d’après, elle avait disparu. J’avais juste eu le temps de remarquer qu’elle portait un capuchon.

Je fixai l’endroit un bon moment, mais le mystérieux personnage ne se manifesta plus. Ma chambre se refroidissait, aussi refermai-je la fenêtre. Était-ce Morgan ? Et, si oui, pourquoi nous espionnait-il ? Était-ce également lui qui nous épiait quand nous puisions de l’eau au ruisseau ?

Je me dévêtis et me glissai dans les draps. Malgré ma fatigue, j’avais du mal à trouver le sommeil. La vieille maison craquait et gémissait ; j’entendais des tapotements au pied de mon lit. Ce n’était probablement qu’une souris courant sous les lattes du plancher ; toutefois, étant le septième fils d’un septième fils, je songeais que c’était peut-être bien autre chose…

Je finis par m’endormir, pour me réveiller en sursaut au beau milieu de la nuit. Je restai allongé, immobile, me demandant avec inquiétude ce qui avait pu m’éveiller si brusquement. L’obscurité était totale, je ne voyais rien ; je sentais néanmoins qu’il se passait quelque chose d’anormal. Il y avait eu un bruit, j’en étais sûr.

Je n’eus pas longtemps à attendre avant qu’il se produise de nouveau. C’étaient deux sons différents, de plus en plus perceptibles à mesure que les secondes passaient. L’un était un bourdonnement aigu, l’autre un grondement grave, à croire qu’une avalanche de pierres roulait le long d’une pente rocheuse.

Seulement, ça venait du sous-sol, et ça s’accentuait à tel point que les vitres de la fenêtre tintèrent. Les murs eux-mêmes vibraient. La peur me prit. J’ignorais de quoi il s’agissait, mais, si ça continuait, la maison allait s’écrouler ! Un tremblement de terre allait-il nous ensevelir sous les débris de la falaise ?

Epouvanteur 3 - Le secret de L'épouvanteur
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